Je rentre d’un week-end à Thoune et je dois dire que plus je visite la Suisse, plus je tombe amoureuse de mon propre pays.
Pourtant, ça n’a pas toujours été le cas.
Je viens d’une petite ville dans le canton de Berne où il ne se passe pas toujours grand-chose. Il n’y a pas de clubs fancy, on croise les mêmes têtes tous les vendredis soirs aux mêmes endroits et c’est encore rare de trouver des cafés qui font de bons matchas.
Etant plus jeune, je préférais mettre en avant mes origines espagnoles. J’aimais bien dire que je venais de ce pays ensoleillé, où on mange bien et où tout le monde est sympa. Je m’y voyais même vivre pour finalement échapper au brouillard et aux hivers suisses qui paraissent parfois interminables.
Aujourd'hui, c'est tout le contraire.
Plus je découvre la Suisse, plus elle m’éblouit. Plus je visite d’autres pays et continents, plus j’aime revenir dans le petit pays où j’ai grandi.
Pourtant, la Suisse n’a pas beaucoup changé depuis.
Pas non plus la météo, ni sa culture.
Ce qui a changé, c’est ma perspective.
Avec le temps, j’ai appris à connaître la Suisse. J’ai découvert des paysages à couper le souffle. J’ai compris comment la société, l’économie ou la politique fonctionnent par rapport à d’autres pays. J’ai réalisé le privilège que c’est que d’être née dans un pays stable avec une qualité de vie élevée.
C’est comme ça que j’ai réalisé à quel point j’ai jugé un endroit que je ne connaissais pas tant que ça au final.
Et il se trouve que ce n’est pas le seul endroit que j’ai critiqué sans connaître, comprendre, ni explorer pour de vrai.
Mon corps aussi faisait partie de ces lieux que j’ai voulu fuir.
Comme avec mes origines suisses, j’ai essayé de l’ignorer et de rêver de quelque chose de mieux — sans réellement réaliser ce avec quoi le monde m’avait gâtée.
On ne peut pas aimer ce qu’on ne connait pas.
Pendant des années, j’ai jugé mon corps. J’ai voulu le changer, le faire taire, le punir.
Je l’ai détesté pour ne pas être plus mince, plus musclé, plus athlétique.
Je l’ai maltraité, affamé, harcelé pour qu'il entre dans les standards beauté de la société.
Je lui en ai voulu pour ne pas réagir aux régimes restrictifs et pour me faire vivre un enfer dès que mes règles approchaient.
Il m'a fallu 25 ans pour comprendre que mon corps n’a jamais été le problème.
Le problème, c'était que je ne le comprenais pas. Il parlait une langue qu'on ne m'avait jamais appris : le langage des maux, de l’énergie et des hormones.
Je ne m’en veux pas de m’être autant ignorée pendant autant d’années parce que la majorité des femmes avec qui j'ai grandi critiquaient leur corps en permanence. Elles non plus ne parlaient pas le langage de leur corps et n’ont rien connu de mieux que d’être en guerre constante avec elles-mêmes.
Ces femmes ont été les modèles sur lesquels je me suis appuyée pour développer la relation avec mon corps. Sans le vouloir, elles m'ont transmis une vision du corps marquée par la peur, le contrôle et le jugement.
Elles ont bien évidemment fait du mieux qu’elles pouvaient avec ce qu’elles savaient et avaient en ce temps-là. Mais j’ai choisi de briser ce cycle en montrant qu’on peut aimer son corps autrement — pour que les jeunes filles d’aujourd’hui grandissent avec la permission de se regarder avec bienveillance, fierté et confiance.
La réconciliation commence par la curiosité
Comme pour me réconcilier avec mon pays et son mauvais temps, la réconciliation avec mon corps a dû passer par l'exploration.
J'ai dû mettre mes excuses, mon victimisme et mon égo de côté pour avouer que je ne savais rien de lui. Que je n'avais jamais essayé de l'écouter et de déchiffrer ce qu'il essayait de me dire quand il me criait à l’aide.
Contrairement à la Suisse que je pouvais quitter dès l’âge adulte si je le voulais, je ne pouvais pas quitter mon corps. Il ne me restait plus d’autre choix que de cohabiter et de communiquer avec lui, avec ce qui semblait être les lettres d’un autre alphabète.
Le corps est le seul endroit duquel on ne pourra jamais déménager. Autant en faire un endroit où on s’y sent bien.
Personne n’apprend aux femmes comment fonctionne leur corps, leurs hormones et leur cycle. Apparemment, c’est plus simple de nous prescrire la pilule et de nous dire « Madame, c’est dans votre tête ».
J’ai dû suivre des certifications avancées et investir de belles sommes d’argent pour avoir accès à cette information. Ce que j’y ai appris a fini par transformer ma vie, ma santé et ma relation avec mon corps. C’est de là que vient ma mission d’encourager les femmes à s’écouter et à se faire confiance.
Je ne suis clairement pas la plus experte pour parler de ces thèmes d’un point de vue médical. Mais je suis bien placée pour en parler avec le point de vue d’une jeune femme qui s’est battue pendant des années avec elle-même et qui a finalement appris à faire de son corps son meilleur allié.
Même maintenant, avec tout ce que j’ai appris, c’est pas toujours un fleuve tranquille.
Parfois, je me sens encore comme quand j’ai traversé le pont panoramique de Sigriswil — instable, avec la peur de perdre l’équilibre à tout moment.
Marcher dans le vide quand tu sais pas où mettre tes pieds demande énormément de résilience, de courage et de calme intérieur.
Mais avec ça vient aussi la récompense délicieuse de savoir s’écouter, se comprendre et d’avoir la certitude de pouvoir compter sur soi-même à tout moment.
Redécouvrir mon pays m’a appris qu’on ne peut pas aimer ce qu’on ne connaît pas.
Redécouvrir mon corps m’a appris qu’on ne peut pas apprécier ce qu’on essaie constamment de changer.